La fête du Roi Lolo
Connaissez-vous la fête du Roi de l’Oiseau ?
Chaque année depuis près de 40 ans cet événement festif et culturel rassemble une foule toujours plus grande dans les vieilles rues du Puy-en-Velay. Quatre jours durant, animations et cortèges pittoresques sont à l’honneur. Sous couleur de rendez-vous historique la ville, parée dans son lustre d’antan, s’adresse à tous les imaginaires et à toutes les imaginations.
Ce qui fournit aux parents très investis dans le choix de leur panoplie annuelle l’occasion d’accompagner leurs enfants parfois bien moins décorés qu’eux, au prétexte de les emmener s’amuser. Attention les yeux, surtout vous les faux borgnes et faux balafrés, qui prenez trop la confiance dans l’avantage que vous procure cette cécité de circonstance : armure en strass, casque en plastique, cape en vrai velours de la route de la soie Made in china, sans oublier l’incontournable costume de moine pervers en baskets.
Certes ma critique est facile. Chacun vient en fonction de ses moyens et rien que pour s’amuser à une fête, la chose est entendue.
Il ne faut pas non plus s’émouvoir du grand écart douloureux que cherche à accomplir cette démonstration récréative. Son panachage de styles, qui s’étend du Moyen Âge (heaume oblige) jusqu’au XVIIIe (tricorne oblige), est d’abord représentatif d’une histoire qui ne trouve sa place nulle part sur la frise et relève purement et simplement du fantasme.
Le toc et le faste
Cette année, comme les précédentes, les hauts faits d’armes commencent en marge des grands rassemblements, c’est-à-dire dès la zone industrielle de Brive-Charensac et sur le parking Auchan où les aspirants chevaliers font leur course en grande diligence, remplissent leur coffre de voiture avant de se précipiter en direction du centre ville. L’immersion est complète et Jean-Baudoin et Jean-Godeffroy auront une foule d’anecdotes toutes plus héroïques les unes que les autres à s’échanger demain au bureau.
Mais je reconnais que mon avis sur cet insatiable appétit de déguisement, à tout prix et en toutes circonstances, sans doute importe peu, qu’ainsi la lassitude que m’inspire chaque année la vue d’autant de situations incongrues, ne regarde que moi. Ce qui tombe bien, car il figure comme donnée très négligeable au propos que je compte développer.
Vous l’ignoriez d’ailleurs, mais j’ai officié de longues années dans une compagnie médiévale. Les questions de répétitions de scènes de combat, de prise de parole sur un quelconque stand pédagogique, ont par conséquent martelé mon ordinaire. Depuis, sur un camp d’animation médiévale bénévole je détecte d’instinct tout objet du quotidien de nature à contrevenir à l’esprit Med’ (tube de dentifrice, pompe à vélo, lunettes de soleil, carte du RN, etc.). Les faire disparaître 5 minutes avant l’arrivée du public constitue donc moi comme une seconde nature, en véritable puriste. Vous voyez que je n’ai de leçons à recevoir de personne. D’ailleurs mes souvenirs de cette époque sont tous excellents. La preuve c’est que je n’en ai gardé aucune séquelle.
Je vous entends d’ici : le fait d’avoir goûté d’un mets jusqu’à la nausée ne confère pas le droit d’en dégoûter les autres.
Ceci étant dit, je ne pense pas que les festivités du Roi de l’Oiseau en soient moins attrayantes. La programmation officielle peut se flatter d’une manifeste recherche d’harmonisation, d’un soin apporté à la réalisation des costumes ou des spectacles.
Du reste, qui préférerait voir sa ville subir le sort navrant de tant de rues piétonnes de nos capitales régionales françaises, vitrines éteintes, rideaux fermés, plutôt que de s’exalter au rythme d’une fête populaire et dynamique ? Et si comme vous moi ne portez guère les touristes dans votre cœur, réjouissez-vous à les imaginer troussés puis, roulés dans une farine à l’ancienne dans l’enceinte du marché dressé Jardin Henri Vinay (célèbre larron j’imagine, prédécesseur de Laurent Wauquiez à la tête de la guilde).
Cette sorte de foir’fouille hétéroclite, parfaitement dans l’esprit de l’événement où le pire côtoie le meilleur, accordera les experts sur l’avis qu’elle rejoue à merveille les charlataneries de l’«époque» (laquelle exactement je ne sais pas).
Mes excuses à celles et ceux que ces paroles trouble fête offusquent. Mais perd-on le droit d’exercer toute critique sitôt que l’événement se pare du double argument de la faveur populaire tout en se matérialisant avantageusement dans les caisses du commerce ?
Coucou les gueux !
L’appréciation d’une manifestation de cette nature reste une expérience bien subjective. Longtemps elle m’a laissé un sentiment agréable ainsi qu’une parfaite odeur de fraîcheur. C’est ainsi que, depuis ma 1ere participation voilà près de 15 ans et jusqu’à très récemment, je la regardais comme une distraction sympathique et bien sûr inoffensive. Et puis est venu le jour où, pour accompagner une amie de passage au Puy, j’assistais pour la première fois au défilé.
Ce jour-là, à l’instar des années précédentes les différents prestataires du spectacle faisaient parade depuis le sommet de la ville haute. Les délégations costumées battaient solennellement le pavé, arborant les emblèmes des anciennes et nouvelles institutions de leur appartenance. C’est à l’issue de ce cortège que se présentent les successions de couples aristocratiques, pour la plupart de vieilles personnes, à la mise très relevée et qui suscitaient de plus vifs applaudissements.
« Merci, vous êtes formidables ». Laissa échapper en guise de remerciement une des dames du défilé qui recevait les faveurs enthousiastes du public. Gros moment de malaise. Le ton pincé était bien celui d’une bourgeoise, émue de laisser contempler à la foule les signes de ses mérites vestimentaires, partant ceux de ses avantages sociaux.
Si vous avez pratiqué les fêtes Med’, vous savez que dans la vie il y a d’un coté les costumés, de l’autre les déguisés. Et n’allez pas dire au chevalier en chef qui baroude depuis 15 ans comme si sa vie en dépendait par tous les campements de France et de Navarre, qu’il est « bien déguisé », croyant lui faire plaisir, vous risqueriez la vôtre.
Mais revenons au Puy et à la subtile alchimie qui préside aux rapports de classe entre pudeur de bourgeois et esprit de pavane. De vieux patriciens applaudis par la bande de gueux voués a rester déguisés pour pouvoir les contempler, ainsi former ce nécessaire public médiéval low cost qui ne paraissait pas avoir conscience qu’à travers son engouement pour le défilé de sa propre discrimination sociale il offrait les dessous d’un lamentable méta spectacle. Tel était le sentiment qui s’imposait à moi. Imaginez-vous dans le monde actuel et bien réel, applaudir un défilé de bourgeois dont le seul et unique mérite consiste a s’être donné la peine de naître dans la bonne famille pour bénéficier par effet d’hérédité de la position sociale de papa et maman. Ah oui pardon c’est exactement ce qui se passe à Cannes tous les ans, excusez cette déplorable erreur d’inattention.
Mais la fête du roi l’oiseau n’a rien à voir avec ça. C’est que voyez-vous les figurants que vous admirez sont des passionnés, parfois issus des rangs les plus modestes de la société, qui œuvrent à la perfection de leur costume d’année en année, sans compter leurs heures.
Je veux bien que l’accès à une tenue remarquable traduise moins la véritable position sociale que le résultat d’un travail émérite et acharné marqué dans le temps et concrétisé par un beau costume cousu main. Il n’en reste pas moins que l’acclamation de la foule aux froufrous des perles cousus sur l’or, s’apparente trompeusement au triomphe de classe dominante, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui, et quels que soient les efforts de travestissement culturel dont elle bénéficie en se présentant à nous.
Et comment interpréter ce plébiscite d’un ordre social caractérisé par ailleurs par son évident sens de la hiérarchisation, même par jeu ?
Le processus du vêtement, et le code qui l’entoure, non plus, n’est pas un processus anodin dans la construction sociale. Rappelons que c’est précisément au XVIe siècle qu’une série d’édits dits somptuaires viennent régir le code vestimentaire. Ainsi défense est faite aux impudentes bourgeoises de s’atourner comme des demoiselles, c’est-à-dire comme des femmes de cour. Si l’habit doit être reflet fidèle de l’appartenance sociale et du rang, il s’agissait de passer l’envie à la bourgeoisie, en position montante, de dilapider sa fortune à l’imiter. Tout simplement parce que l’habit est un marqueur social dont le renversement irait à l’encontre de l’ordre social.
On ne compte plus les manifestations qui, cherchant à rassembler autour d’un festivité locale s’inspirent du quelconque souvenir comme dénominateur commun. Au Puy-en-Velay, c’est le siècle de la Renaissance qui tient lieu de repère fondateur et collectif, mais une Renaissance au sens étendu ; tout simplement parce que les codes, les danses, les musiques, les ateliers, pour rassembler largement à la fête, doivent faire appel à une définition moins restrictive du concept élu. Rappelons que la Renaissance ne se définit pas comme une période historique à proprement parler mais artistique, scientifique, technique, intellectuelle, spirituelle, portée par la redécouverte érudite des modèles grecs et latins fondatrice de l’humanisme. Ces courants la situent par conséquent à la croisée de cheminements disciplinaires qui redéfinissent la place de l’homme devant le monde et la mesure du monde par lui, œuvrant à de conjoints changements de paradigmes. Son sujet devient par conséquent éminemment culturel, à ce titre la réduire à une simple parade déguisée, entrecoupée de contes intemporels, de chansons, de tirs à l’arc, de joute ou d’atelier de fabrication, laisse entrevoir combien on a égaré en route le sujet principal.
Imaginez une festivité se revendiquant cette fois du siècle des Lumières, où le public assisterait à un défilé de personnages emperruqués, de carrosses à laquais, suivis de saynètes vaguement dans l’esprit Ancien Régime avec des servantes empressées revêtues de robes à forts décolletés, le tout éclairé de chandeliers dorés, délayées d’intemporelles chansons traditionnelles, sous fond de tirs aux mousquets, diriez-vous que l’immersion dans le siècle de Voltaire et de Rousseau, était parfaite ? Sans doute, mais seulement à considérer que la notion de siècle des Lumières se saisirait mieux par ses contingences plutôt que par ce qui la définit : soif de progrès, de liberté, dont la théorisation et la diffusion va bouleverser l’ordre du monde.
Au final pareil au Puy-en-Velay, d’accord Jean-Gauvain et Jean-Amadis des Gaules sont sur leur 31 de 1515 mais quel p*tain de rapport avec la Renaissance ? S’abritant derrière son caractère populaire, l’expérience semble se résumer à un week-end de détente, encourageant les préjugés dont chacun en arrivant dispose dans sa besace : les chevaliers étaient courageux, les archers vachement adroits, les forgerons laborieux, les barbares avaient des fourrures de renard sur la tête, je l’ai toujours su, etc.
C’est le sujet que traite l’universitaire Patrick Fraysse dans son article Les mises en scène du Moyen Âge dans les fêtes populaires :
« La programmation qui utilise le Moyen Âge comme prétexte joue sur cette envie d’histoire, ce goût pour le Moyen Âge des publics tout en s’éloignant des préoccupations scientifiques des historiens universitaires. Les travaux de ces derniers sont diffusés vers les publics de manière très diverse. Cette vulgarisation de l’histoire se contente le plus souvent de simplifications et de traductions rapides aboutissant fréquemment à faire circuler, encore et encore, des stéréotypes que les historiens ont eux-mêmes contribué à forger notamment au XIXe siècle. »
Au fond c’est l’ambition d’avoir voulu lui agréger ce concept de Renaissance qui ajoute au défi de la manifestation : la Renaissance étant l’affaire d’élite intellectuelle, l’intention contraste avec l’impression de fête folklorique qui se dégage du résultat. Ce n’est pas que la culture soit absente à la fête du Roi de l’Oiseau, puisque l’événement fait appel à une forte participation populaire et à sa créativité, mais que la profonde subtilité du thème choisi la destine à bégayer. Au final, pour laisser le champ libre à une réjouissance populaire, le Roi de l’Oiseau doit se contenter de placer au cœur de sa programmation des animations dominées par le culte de la matérialité et les apparences, mettant notamment l’accent sur les codes vestimentaires du XVIe siècle, et proposant faute de mieux un champ de transmission technico-artisanales à périodes tiroirs.
C’était mieux avant !
Créée dans les années 80 à la gloire d’une lointaine confrérie d’archers du Puy, la fête commémore certaine tradition de joutes du XVIe siècle dont la victoire octroyait à son champion toutes sortes de privilèges. Voici pour l’événement fondateur-prétexte justifiant de la la fameuse identité Renaissance avec laquelle la Ville paraît paradoxalement se débattre tout au long des festivités. Au final va pour la fête médiévale traditionnelle dans sa mouture « Renaissance » parce qu’il faut bien cultiver l’altérité. L’anecdote reste sympathique et pour une part innombrable de la jeunesse qui ne s’y trompe pas, le principe du déguisement même à moitié Med’ plutôt que Renaissance aux 3 quarts, suffit à motiver ses libations arrosées et joyeuses.
Mais j’ose la question : de tels artifices sont ils indispensables à la fête? On peut même aller plus loin en s’interrogeant sur les raisons de cet engouement pour les fêtes médiévales.
Passé par le mix du romantisme XIXe, le fantasme médiéval a abondamment transité depuis par le cinéma avant de bénéficier d’un traitement de restitution mettant à sa disposition des cadres vivants grandeur nature inscrits dans des projets culturels et économiques. Pour quel résultat : des marchés et des festivals médiévaux partout en France, dont les dispositifs matériels sont plus ou moins efficaces, le degré de vraisemblance obtenu plus ou moins réussi, et où la transmission des connaissances reste généralement la moins bien lotie. Au vu de ce constat, et à bien considérer la faiblesse du dispositif pédagogique qui accompagne l’ensemble, le public ne se livrerait-il pas avec la même gaîté au déguisement et au spectacle sans ce prétexte très thématisé, un peu comme on se rendrait au carnaval ?
Le geste de puiser dans une coutume vernaculaire qui n’existe plus, la décongeler pour en faire une fête, ne dissimule-t-il pas d’autres visées que de divertir?
L’obsession du passé à travers sa mise en scène ne pose problème que si elle nourrit une idéologie, et une idéologie d’autant plus réussie qu’elle ne se perçoit pas. Prenons ce qui se passe au Puy du Fou : une opération de propagande réactionnaire dont le ragoûtant cocktail de préjugés, raccourcis, biais, approximations voire mensonges sur l’histoire se répand à la recherche d’un public pour l’atteindre dans sa propre perception des réalités contemporaines. Dans le cas du Puy du Fou, on cite parmi les points les sensibles, la glorification de la monarchie sous fond de critique larvée de l’État de droit, la thèse du génocide vendéen qui constitue un véritable cheval de bataille. S’y ajoute enfin la place excluante du catholicisme sur les autres religions, défaut volontaire de représentativité, silence sur leur rôle à toutes dans le processus civilisationnel qui s’établit au mépris de la vérité, comme l’expliquent Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, dans leur ouvrage Le Puy du Faux. Enquête sur un parc qui déforme l’histoire. L’évincement particulier du protestantisme hors du beau roman vendéen frappe par le constat de similitude avec le traitement vellave, dont le tableau festif paraît lui aussi s’accommoder de cette disparition. Coup dur à bien considérer que la trajectoire de la religion dite « réformée » constitue le fait majeur en matière d’histoire religieuse et politique française au sein de ce XVIe siècle que la fête du Roi de l’Oiseau est censée précisément nous aider à mieux connaitre.
Le projet de Villiers ne se contente donc pas de belles parades, il cultive aussi un propos, le développe, l’active tel un levier déterminé. Et, là où son Puy (du fou) se dote d’un véritable appareil de propagande capable de mettre au travail de sympathiques bénévoles, semblables à s’y méprendre à leurs homologues serfs du XIIIe siècle, pour le bonheur de leur entrepreneur-féal qui les remerciera du peu avec un casse croûte collectif, rien de tel a priori au Puy (de Lolo) où la manifestation demeure libérée de tout cadre narratif ou idéologique clair. Finalement en Velay c’est un mal pour un bien, et s’en tenir comme au Roi de l’Oiseau à une célébration laissant la part belle aux apparences, au fétichisme des sociétés matérielles causerait moins de tort. Celui-ci ne se donnant pas pour objet premier la culture mais le culte de la matérialité sur fond de festivité, il échapperait à des formes d’endoctrinement qui, au Puy du Fou, empruntent une stratégie dans laquelle le discours pédagogique, instrumentalisé, se retrouve captif du discours militant. Mais est-ce aussi simple que cela?
Autre point de tacite convergence, nos puy respectifs ont en commun d’appartenir à des territoires acquis de toujours à une droite farouchement conservatrice, berceaux de figures aussi communes à l’humanisme qu’un Laurent Wauquiez ou qu’un Philippe de Villiers. Encouragées ici ou là par des appels à la tradition, les fêtes ressuscitant à grands frais et sous leurs plus beaux brillants d’ancestraux usages, fussent-ils en toc massif, ne se proposent-elles pas d’appeler implicitement en modèle les principes qui régissaient la société profondément inégalitaire de l’Ancien Régime ?
A travers la parade et la fête, est véhiculé la fable d’une société millénaire, traditionnelle, authentique, dans laquelle chacun trouvait sa place au sein d’un réseau fort, tissé de liens d’allégeance, de corporatisme ou de confrérie, dressant le portrait d’une société non seulement morale mais idéale. Au prix d’une légère opération de tri entre bons et mauvais éléments de figuration, se dévoile le tableau d’une société unifiée, pacifiée, et avec d’autant plus de succès qu’elle est préservée des éléments extérieurs susceptibles de contrevenir à sa bonne marche. Forge le forgeron, mouline le moulin, sous l’œil débonnaire du prédicateur qui prédique et du roi qui règne. La société est sauvée.
En singeant les codes de représentations du passé, on emprunte librement à une imagerie déclassée, plus parfaitement docile sous la plume à la citation qu’elle est vague, indéfinie. Toute une partie de son vocabulaire, ses apparences, ses couleurs peut entrer au récit. Elle s’apparente à une odeur de poudre après l’éclat du canon, l’écho mêlè des sabots sur le pavé au fer sur l’enclume, conquis sur le tumulte par quelques majuscules gothiques, et exprime à travers chacune de ces touches le sentiment d’une profonde nostalgie collective. Ces vertiges d’un temps élevé au sublime nous tendent un portrait d’une société rendue acceptable car expurgée de sa violence et de ses tensions, comprises les infirmités, supplices ou maladies de l’époque, comme si leur relégation hors de notre vue en dessous de la ligne des tropiques, ou leur traitement par la caricature, suffisaient finalement à nous les rendre sexy.
Cette fois encore j’entends qu’un passage au roi de l’oiseau puisse divertir, mais l’argument suffit-il toujours ? Se soustrait-il à l’exigence d’avoir à rendre compte de cette sacralisation du passé ? Je veux dire ce n’est pas comme si l’événement se plaçait dans une attitude particulièrement réflexive ou critique sur ce qu’était l’Ancien Régime, la domination de classe, la place de l’aristocratie, en préparant le retour au réel d’un public plus instruit et plus averti.
L’examen d’un modèle sociétal de pleine adhésion au pouvoir temporaire ou spirituel se colore en ces temps de désaveu de la société moderne d’une profonde nostalgie. C’est que cette société d’hier, sous les signes tangibles de sa profonde hétérogénéité restait une, mais au prix d’une forte hiérarchisation et d’une stabilité fondée sur une profonde inégalité. Et voilà que cette nostalgie embrumée nous soumet sa languissante question : comment ressusciter l’âge d’or ? Voilà la rhétorique chère à l’extrême droite.
Fabriquer l’histoire c’est faire de la politique au Puy du Fou comme au Puy-en-Velay.
Vive le Roi !
Autant le dire sans détour, n’était le ton sinistrement crépusculaire du contexte politique entraîné derrière lui par les événement des 3 derniers mois, jamais ne me serai senti le besoin d’évoquer un tel sujet.
Il se trouve que….
Le 21 septembre 2024 était un jour important. Au Puy, les parkings bondés annonçait d’importantes mobilisations en réponse à l’appel de la jeunesse : contre le déni de démocratie et le coup de force dont s’est rendu responsable le président de la République française. Ou à moins que les rues ponotes ne fussent remplies d’un peuple dont la conscience de la défense de ses propres intérêts avait été détournée vers le spectacle ?
Je ne voudrais pas donner le sentiment à mon lecteur ou ma lectrice d’en être à tout dramatiser ni de voir le mal partout. Mais je lui rappelle que si d’aventure il lui tenait à cœur de situer toujours trop à gauche la moindre des critiques émanant d’une observation locale, une large part de la presse étrangère juge préoccupante la situation politique traversée par la France. Il n’en demeure pas moins que la question de la séparation des pouvoirs, celle de l’ingérence du chef de l’État dans les affaires du Parlement, du respect du résultat d’une élection, comptent manifestement bien peu devant cet appétit immodéré, irréductible pour un loisir comme La fête du Roi l’Oiseau.
Depuis, la fin de la fête a vraiment sonné, et un gouvernement qui n’a sans doute jamais été aussi à droite depuis Vichy a été porté au pouvoir sans aucune légitimité démocratique. Mais si la situation en vient à une telle extrémité, il faut savoir y reconnaître une conséquence naturelle de la victoire de la gauche aux élections législatives et donc pointer son entière responsabilité. C’est du moins ce que ne se lasse pas de répéter une part notable de la presse de cour et que l’on identifiera aisément, et même faute pour elle d’avoir endossé son pourpoint à crevées pour les besoins du JT . Tout va très bien donc, il importait de fêter dignement les fous ce week-end dans le Velay.
Afin d’aider à la recontextualisation politique de cette situation de dérade démocratique, il faut indiquer le rôle des profondes redéfinitions au sein des blocs politiques lesquelles ont ajouté à la confusion. S’y ajoute le dépassement du clivage droite-gauche bien sûr, comme chacun sait, parfaitement aboli et désormais visible uniquement sur la planète Mars ainsi que pourra le confirmer Jean-Michel Extrême centre, libéral depuis sa plus tendre enfance, enfin – on est heureux de l’apprendre – la parfaite compatibilité désormais de l’extrême droite avec les valeurs de la république. La faute finalement à la gauche qui en jouant la carte du communautarisme a abandonné non seulement le camp des travailleurs mais aussi le sujet de la sécurité, condamnant par là-même, on le sait, au repli vers la droite de la caste traditionnelle des chevaliers servants lesquels désormais trouvent refuge dans le vote pour le RN. Voilà en un mot comment de troubadour ou devient policier, c’est pas de chance. Merci en tous les cas, c’est beaucoup plus clair.
On m’objectera qu’au jeu de la politique on est toujours perdant, ce qui renverrait tout débat à un loisir parfaitement subsidiaire. Partout quoiqu’on fasse, toujours elle se joue de nous, nous berne, n’importe le régime. Les choses n’ont pas varié, l’aristocratie en 250 ans n’a fait que changer d’oripeaux, et de toutes ces têtes emperuquées rasées de prés, il y en a eu autant d’utiles que de repoussées sur le corps du cher l’hydre capitaliste.
Si fait, la chose est dite, je me range à cet avis et déclare la paix universelle sur tous les monarques d’hier et d’aujourd’hui, avec, pour eux, le moins d’accidents du travail possible et surtout belle et heureuse retraite.
« Vive le roi ! » C’est ainsi que le cortège, poussé au bout de son interprétation historique, scande sa ferveur auprès du monarque. Après tout, s’agissant d’une fête Renaissante, à quelle conclusion fallait-il s’attendre ? A ce que l’humanisme bondisse subitement hors de la boite dans laquelle il roupille depuis le début de la fête ? Non bien sûr, car l’humanisme est finalement une valeur de bien piètre actualité en considération du lys de la royauté, je n’ose pas dire du royalisme, notion si essentielle au débat contemporain qu’elle sait adopter tous les moyens de se réinventer au Puy, s’imposer à travers la manifestation de figures aussi progressistes et porteuses d’avenir que celle d’un monarque absolu devant ses sujets. Et, en fin de compte, prendre part à des spectacles ponctués par des acclamations comme « Vive le roi », dans une conjoncture où la garantie de nos droits fondamentaux est mise en question, ne me pose aucun problème, vraiment, car j’adore me déguiser.
Dans la situation qui est la nôtre, toute réminiscence d’un régime en mesure de mettre à genoux ses sujets sans avoir à fournir d’autre justification à l’appui de son pouvoir que le droit divin, met particulièrement à l’aise. Et, fort heureusement, la situation que nous traversons en 2024 est sans équivoque avec le passé. Et toute impression de manifestation de l’arbitraire dans l’actuel contexte politique ne relève sans doute que de notre imagination. Ou à moins que nous soyons toutes et tous frappé.e.s d’amnésie collective devant le spectre du fascisme par un tour de magie ressemblant à une fête pourrie ?
La présidence actuelle nous ayant mis l’eau à la bouche, il nous tarde de voir un plus authentique autocrate aux rênes du pouvoir, un épilogue dans lequel, enfin, ce foutu suffrage universel n’aurait même plus besoin de s’acquitter de l’embarrassant office de dessous de plats qui est le sien actuellement. Pour nous y préparer davantage, tout en préservant bien sûr l’esprit de réjouissance de rigueur, imaginons une compétition de tir à l’arc comme il y en a au Roi de l’oiseau. Supposons enfin qu’à l’issue de cette compétition, un type tout seul sur un trône désigne pour vainqueur, au lieu de celui dont la pointe de flèche se serait le plus rapprochée du cœur de la cible, le bon dernier, le plus nul en lice, mais premier il est vrai à s’être planté la flèche dans la pulpe du doigt. Eh bien maintenant, applaudissez, c’est comme ça. Toute analogie possible avec un présidentiel monarque, la tête encore bien sur ses épaules, et à ses faits et gestes, est évidemment purement fortuite.
Pour conclure, je pense qu’il faut continuer à nous déguiser et d’autant mieux que voilà bouclée la cérémonie de clôture des festivités. Employons dès à présent notre énergie à la réflexion de notre costume de l’année prochaine. Et cependant si j’avais une seule mise en garde, je recommanderais de ne pas ôter tout de suite le slip de maille, on ne sait jamais. Car tandis que nous nous absorbons dans la contemplation des ombres vagues qui caressent la surface froide du rétroviseur, l’histoire ressurgit et s’agite présentement devant nous.