Bye bye mes Charmettes (que j’aime)
Après des années d’attente les Charmettes, ci-devant hôpital, monument vivant du quartier Bellecombe, bientôt souvenir urbain et historique, achèvent leur carrière. La phase de démolition réelle des parties anciennes visibles de la rue s’est ouverte cette semaine.
Le cliché offre un tableau incomparable. Les emblèmes des armateurs de cet ouvrage flottent au ciel comme un étendard qui remplit de fierté leurs propriétaires. Potain, pour la mécanique, croise fortuitement Pitance au firmament du génie.
A leur vue, mon sentiment prit alors la forme d’une exclamation. Vous n’aurez, pour situer exactement mon humeur, et ces mots que je peine à empêcher de laisser éclater, qu’à ajuster quelques lettres parmi celles qui se pavanent là haut. Puis, ajoutez aux deux noms, en guise de liaison, l’indispensable particule, promotion aristocratique parfaitement méritée, et excusez du peu si à cette heure tardive je suis vulgaire[1]. D’ailleurs je n’insulte personne : Pitance est une institution qui n’est même pas une somme d’individus. Nous nous en prenons à des machines, des machines de fer, tout le problème est là.
On abat des murs faits pour durer encore huit siècles, des murs qui nous rappellent simplement qu’avec le simple complément d’un toit et d’un plancher les conditions sont réunies pour offrir un cadre de vie substantiel. Je me devais de le préciser attendu que ces murs et ces toits existaient jusqu’à aujourd’hui et que Pitance, qui les a détruits, se consacre, à ce qu’il parait, à produire du logement. Mais Pitance a fait venir la grue tôt avant hier matin, au ciel. Et pendant ce temps-là sur terre des gens auxquels on n’a même pas de toit à offrir dorment dehors. Tout va très bien monsieur le marquis de Pitance. Nous attendons les logements, les beaux logements, aux tarifs desquels les gens se bruleront les doigts.
D’ailleurs il parait que réhabiliter l’ancien coute de trop, surtout rapporté à la commode et affriolante politique de la table rase qui conduit à faire ce qu’on a l’habitude de voir en ville, ces sortes de croutes urbaines. Produire de la qualité en effet a un coût. Accomplir d’ailleurs les choses en conscience exige en général toute sorte de sacrifice. A titre d’exemple il est possible de produire du caca et de le distribuer en masse dans une grande enseigne tout en affirmant que produire de la qualité serait une dépense excessive. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe. Et pourquoi pas, demain imaginons nos pompiers nous assurer qu’aller éteindre des flammes est décidément trop cher et qu’il est préférable de regarder un incendie s’éteindre de lui-même pour la sécurité de tous.
Ne pas dépenser au-delà du strict minimum, tous ces beaux interprètes du génie urbain s’y sont accoutumés parce que personne, jamais, ne les y a contraints. Ils décident ainsi favorablement pour eux-mêmes ce qui est cher et où se situe le seuil de ce qu’ils qualifieraient de luxe parfaitement déraisonnable. Quand le camp du fric décide de ce qui est cher, et pose les barèmes qui lui conviennent, l’intérêt général doit donc se soumettre. Ce n’est pas demain, par soudain revirement d’humanisme, qu’il va commencer à astiquer le portefeuille.
Et puis il y a dans le logement le nouvel impératif catégorique des temps modernes mais que Kant, le grand philosophe, a sans doute oublié d’énoncer faute de temps ou faute d’avoir connu Pitance, les bienfaiteurs, au contact desquels sans aucun doute sa pensée en s’enrichissant eût atteint son sommet. Devant cet impératif il nous est rigoureusement défendu d’énoncer toute proposition alternative, telle que la réhabilitation (nous avons vu précédemment qu’elle coutait horriblement chère selon le barème de Picsou), sans être frappé du sacro-saint sceptre de la nécessité.
Comment, mais vous êtes contre le logement ? Campés sur de confortables éléments de langage qui les dispensent d’une vraie réflexion sur les sujets urbains, les gros tiennent le haut du pavé de l’argumentaire de toute pensée binaire qui se respecte. Oui, oui, bien sûr, je suis contre le logement et pour le rétablissement du fouet à l’école et pour celui du goulag. Ces arguments-ci partagent avec les constructions des piteux, un fascinant caractère de médiocrité et de préfabriqué.
Tous les arguments sont rassemblés pour nous exclure d’échapper à la mornitude urbaine et ses paysages dégueulasses. Le tout peut s’effectuer avec la bénédiction des pouvoirs publics : ici d’ailleurs on n’est ni véritablement à Villeurbanne, ni véritablement à Lyon, alors personne ne se sent spécialement concerné. La parcelle de l’hôpital se divise dans une espèce de bande frontalière qui met tout le monde d’accord sur ces épineuses questions. Epineuses questions qui de toutes façons couteraient très chères rien qu’à être mise au débat public. Ainsi il n’est venu personne, je crois, ni de Lyon ni de Villeurbanne, pour visiter ce qu’on démolit. Et si un acteur de la vie politique passait ici par hasard, il croirait peut-être en avisant le cratère, tomber sur une séquelle de la guerre de 1944. Aussi, si par un hasard plus grand encore l’un d’eux venait à me lire, je tiens à préciser pour le rassurer, que tout se passe très bien aux Charmettes. Parce que Pitance va se charger de reboucher le trou et surtout en dépensant le moins d’argent possible.
Il parait que nous vivons au dessus de nos moyens. Mais ce discours ne s’applique nullement aux principaux intéressés, les chantres du gaspillage et de la pollution, lesquels au nom d’intérêts strictement privés épuisent de communes ressources, celles de la terre, sans souci d’épargner le bâti existant. Au résultat : une production maximale en déchets, une consommation d’énergie superflue consumée en nouveaux matériaux de construction encore moins recyclables que les précédents. Tout va très bien Monsieur le marquis de Pitance, on n’est pas si pauvre. Vous, surtout. Je veux croire que le secteur du bâtiment sera le dernier à se trouver en situation de crise. De votre siège tranquille et avec la satisfaction qu’on prend en accomplissant son devoir vous regarderez la planète flamber.
Ah, j’en oublierais presque de noter que cet édifice est remarquable, qu’en plus d’offrir dans sa fonction un service de quartier, il s’inscrivait parfaitement dans le paysage urbain. L’abattre n’aura été que l’acte supplémentaire du vandalisme urbaniste ouvrant sa nouvelle page de férocité imbécile.
[1] Solution du grand jeu : put*** de pitance.
8 réflexions sur « Bye bye mes Charmettes (que j’aime) »
Bonjour,
Habitant des premiers bâtiments de la résidence, j’ai vécu avec émotion la fin de la vie de l’hôpital, les patients sur les balcons, la pause clope du personnel et les bruits de la dernière soirée festive. J’ai aussi visité les ruines de l’hôpital à l’abandon et les inscriptions poignantes sur les murs , j’ai vu les tractopelles écrouler les derniers murs.
Aujourd’hui en clin d’œil à l’hôpital nous avons demandé la conservation sur le mur du jardin d’un dernier vestige qui est un globe et une sortie de secours qui nous a été accordé.
Bonjour,
Merci pour ces éléments dont j’ignorais l’existence.
Reste aussi la question de la fameuse plaque commémorative qui figurait à l’entrée et dont vous vous souvenez probablement.
Bonjour,
La plaque commémorative qui figurait à l’entrée des Charmettes est désormais dans la salle des réunion des Massues, Croix-Rouge française, Lyon 5ème, qui abrite les anciennes activités des Charmettes ! A la demande des personnels, pour qui elle représentait une partie de l’histoire.
Mon appartement est au 13 rue de la Viabert. Avoir un hôpital signait le fait que ce quartier Bellecombe, en était un. Je cherche photos, histoire concernant la rue de la viabert
De mémoire, les archives municipales de Lyon conserve une photographie ancienne qui dévoile la rue à son passage sous le pont du chemin de fer. Pour le reste, l’histoire du quartier Bellecombe/Charmettes reste à écrire.
je triste d’apprendre que l’hôpital des charmettes a ete detruit. Je suis venue quelques fois aux urgences le soir.
J’ai toujours ete bien reçue.
Bonsoir,
J’habite St Laurent de Mure
Hier matin ,dimanche 16 décembre, nous devions nous rendre à l,épicerie Russe rue de la petite Viabert.
Nous avons tourné un peu avant de trouver une place de stationnement rue Viabert.
Nous marchions sur le trottoir,avons longé une palissade métallique et en levant les yaux j’ai lu »Hopital des Charmettes » et stupeur des bâtiments plus rien.
Je ne suis pas particulièrement attachée à ce quartier,nos déambulations familiales nous ont plutôt posés dans le 2è puis le 8è arrondissement de Lyon.
Mais l’Hôpital des Charmettes c’est là où ma Maman est décédée en mars 2010 et où de St laurent je suis venue lui rendre visite à maintes reprises et où j’étais à ces côtés pour Noël 2009;
Je garde de ces visites une tristesse remplie de douceur car la chaleur des lieux et le soutien du personnel en faisait faisait autour de Maman et de nous ces enfants comme un cocon _
Je suis rentrée chagrine et aussi stupéfaite de voir que ce qui est pour certains un endroit chargé de souvenirs d’émotion de chagrin gravé dans leurs mémoires ne se résume pour tous ces foutus promoteurs qu’ à un amas de pierrailles.
St Laurent de Mure où je vis depuis 36 ans n’est pas épargné non plus chaque maison de village vendue aujourd’hui est démolie et transformée en immeuble
Merci de me permettre par le biais de vos témoignages d’exprimer mon incrédulité face à notre époque éphémère.
La charge mémorielle et émotionnelle est évidemment énorme pour un hôpital, un établissement qui par définition accompagne les êtres humains dans toutes les étapes de leur vie, de la naissance à la mort…
Merci à vous pour ce témoignage.