Dépôt Parmentier (1)

Dépôt Parmentier (1)

Dépôt Parmentier, carrefour des rues Jaboulay et d'Anvers
Dépôt Parmentier, carrefour des rues Jaboulay et d’Anvers

 

Tout commence toujours par une petite affiche de cet acabit. Une perspective avec trois arbres, etc. D’ordinaire les gens qui y figurent, se baladent ou font du vélo, et ils ont plutôt l’air content. Au pire sont-ils indifférents. Oui, après tout même Cogedim, fort de ses fabuleux talents paysagers, n’a pas encore, à ce que je sache, la prétention de métamorphoser en sourire ambulant tous les passants susceptibles de croiser ses œuvres. C’est donc à la rencontre de cette affichette blanc bleue et moche, que je me portais moi, et c’est peu dire, ou beaucoup présumer de mes réactions, que de me supposer de la joie ou simplement de l’indifférence à en parler.

Moderne, Patrimonial, Intemporel, Exclusif, Central, Paisible. Sans aucun doute oui, dans cet ordre là, ou même dans un autre. Mais, tenant à la démonstration de ma persévérance, j’ai voulu lire et démêler ce que ne pouvait manquer de me réserver cet énigmatique énoncé. J’ai donc essayé de replacer dans le bon ordre chacune de ces initiales, convaincu d’y retrouver sous l’acrostiche le message visionnaire qui devait s’y cacher. MPIECP. Mais non, ce n’était rien. Rien d’autre que de la démagogie marketing de basse classe. Rien d’autre en fait que la fin du dépôt Parmentier que l’on annonçait, et encore sans l’annoncer vraiment. Qu’on me pardonne, la photo d’ailleurs n’est pas contractuelle et les auteurs du projet ne sauraient être tenus responsables de son imprévisible évolution. Tout du moins sait-on, en dépit de ses possibles mutations, qu’il sera Moderne, Patrimonial, Intemporel, Exclusif, Central, Paisible, Hors du commun (oui j’ai jugé que ce superlatif manquait cruellement à la description).

 

Témoin de l’hégémonie incontestée de la compagnie des O.T.L (Omnibus et Tramways de Lyon) sur l’ensemble du réseau des transports en commun lyonnais, le dépôt de tramways Parmentier inscrit dans le paysage un jalon matériel notable de l’histoire d’une prospérité qui touche son terme à l’approche de la première guerre mondiale. Construit entre 1912 et 1913, il occupe l’intégralité d’un l’îlot à proximité de la place Jean Macé délimité par les rues Jaboulay, d’Anvers, professeur Grignard, et St Jérôme (7e arrondissement). Son plan adopte par conséquent la forme trapézoïdale de l’ilot qu’il occupe en totalité, et dont la grande longueur est donnée par la façade sur l’actuelle rue professeur Grignard, anciennement Parmentier. C’est cette ancienne dénomination qui a prévalu dans l’attribution de son nom d’usage.

J’ai dit que c’était un édifice notable d’un point de vue de l’histoire, et particulièrement de celle du transport à Lyon. Mais ce constat ne suffit pas à résumer mon sentiment : il s’agit à bien des égards d’un édifice remarquable, remarquable objectivement. Ainsi, quand j’ai commencé la collecte des vues aériennes anciennes ou contemporaines disponibles à son sujet, j’ai été frappé par l’emprise territoriale du site, caractère qui en facilitait d’ailleurs le repérage. Même sur les prises de vues qui réduisaient la ville à un canevas de rues difficilement lisible, la masse allongée des toits en sheds, ce volume imposant continuait à se signaler. En un mot, il ne s’agit pas uniquement d’un pan d’une histoire lyonnaise, ou d’un ouvrage beau et singulier qui s’en va : c’est un monument, une vraie pièce dans cet échiquier de nos édifices lyonnais.

GoogleEarth, vue en direction du Nord-Ouest
GoogleEarth, vue en direction du Nord-Ouest

J’ai d’autant plus de peine à évoquer sa disparition prochaine que cette familiarité à laquelle m’a conduit son étude m’a rendu parfaitement palpable son évidence, son indéniable force dans le paysage de Gerland.

Géoportail, secteur de la place Jean Macé
Géoportail, secteur de la place Jean Macé

Enfin, et en dernier lieu sa disparition n’est que la page d’un long chapitre, ouvert hélas, et dont l’inscription interroge tout le devenir de notre patrimoine ferroviaire.

 

A peu de temps de la disparition d’une portion notable du dépôt Parmentier promise à signer la perte de son intégrité architecturale, nous ne proposerons ici qu’une lecture de son évolution, mettant en évidence les périodes clefs et successives de sa construction, reconstruction ou réfection. En outre si son histoire commence en 1912, il s’agit de resituer son apparition dans une histoire, celle des OTL, qui la précède. Cela fera l’objet de mes  prochains billets.

 

Situation des OTL entre 1912 et 1914 : pourquoi un nouveau dépôt à Gerland ?

 

     Situation des OTL en 1912, rappel historique [1]

 

            En vertu de l’autorisation municipale contenue dans le traité passé le 9 mars 1879 la compagnie des OTL inaugure à Lyon l’exploitation des lignes de tramways. Selon l’article 5  présent dans l’acte de formation en société,  elle se donne pour objet « la création et l’exploitation de toute entreprise pour le transport de marchandises et de voyageurs dans la ville de Lyon et le département du Rhône, et notamment l’exploitation, par tous modes quelconques de traction, de tous services d’omnibus et de tramways, ainsi que la construction des voies, machines, voitures et installations de toutes sortes en vue de cette exploitation. » [2] 

Entre 1880, date de mise en service des premières lignes de tramways à traction animale (hippomobile) et 1912, son service évolue profondément. Critère de cette évolution, la technique qui permet, suivant les progrès du temps, le passage de la traction à vapeur, puis à la traction électrique, système dont l’extension à l’ensemble du réseau est rendu possible dès 1899. En contrepoint le réseau de transport s’étend considérablement, en ville et jusqu’en banlieue. Notons sur ce point que histoire des OTL s’inscrit dans celle d’une réussite majeure, qui conduit dès 1914 au monopole sur le tramway lyonnais. Ce monopole, est le fruit de  rachats et de victoires sur toutes les compagnies concurrentes, des compagnies émules qu’elle avait suscitées à Lyon et qui furent nombreuses. A cet effet une partie du matériel : lignes aériennes, voies, atelier, usines, fournitures électriques, dépôts, mais aussi le matériel roulant, voitures, remorques et motrices qu’ils abritent, ne figurent en 1914 dans son patrimoine que comme « héritage » d’anciennes compagnies. A cette date, l’ensemble hétérogène, préjudiciable à l’équilibre et la gestion future du système, ne nuit pas encore à cette hégémonie du géant[3]. Parmi la somme de matériel que cette accumulation et successions d’investissement mettent à sa disposition citons pour 1912 une trentaine de lignes dont les véhicules se répartissent sur une dizaine de dépôts repartis en ville comme en banlieue.

A la veille du premier conflit mondial, la compagnie O.T.L a construit son réseau sur près de 300 km de voies. Prolongement, dédoublement de voies, créations de lignes nouvelles, ce réseau s’étend désormais à une banlieue lyonnaise dans une acception fort vaste. Les lignes de tramways y concurrencent en effet le chemin de fer et assurent les liaisons avec des villes aussi distantes que Montluel, Pont-de-Chéruy ou Mornant.

38 PH 1 138 : Transport en commun : plan du réseau de tramways électriques de l'O.T.L. en 1913. - photogr. nég. sur verre ; 18 x 24 cm. Crédit : Fonds de la Société des Transports en Commun Lyonnais
38 PH 1 138 : Transport en commun : plan du réseau de tramways électriques de l’O.T.L. en 1913. – photogr. nég. sur verre ; 18 x 24 cm. Crédit : Fonds de la Société des Transports en Commun Lyonnais
 

A suivre dans l’article Dépôt Parmentier (2)
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Bibliographie :

ARRIVETZ Jean. Lyon, du tram au tram. Chanac : Éditions La Régordane, 2001. 112 p.

BORGÉ Guy, BORGÉ Marjorie et CLAVAUD René. Les transports à Lyon : du Tram au Métro. Lyon : Éditions Jean Honoré, 1984. 180 p.

CLAVAUD René, PÉRÉNON Jacques et CHAPPELET Robert. Lyon en tram, au temps de l’OTL (1880 – 1958). Breil-sur-Roya : Éditions du Cabri, 2014. 247 p.

CURTET Raymond. La naissance et l’évolution d’un espace urbain : la place Jean Macé (7e) et son environnement. Cahiers de Rhône 89, 1998, n° 20, p. 69-95.

Sources d’archives :

6 UP 1-175 : Registre de formation des Sociétés, juillet 1901, Archives Municipales de Lyon.

38 PH 1 138 : Transport en commun : plan du réseau de tramways électriques de l’O.T.L. en 1913. – photogr. nég. sur verre ; 18 x 24 cm. Crédit : Fonds de la Socitété des Transports en Commun Lyonnais, Archives Municipales de Lyon.


[1] Afin de produire les généralités nécessaires à cette introduction j’ai puisé abondamment dans les ouvrages de MM. ARRIVETZ et CLAVAUD, qui ont publié de nombreux ouvrages autour du thème des transports et de leur évolution à Lyon.

[2] 6 UP 1-175 : Registre de formation des sociétés, juillet 1901.

[3] CLAVAUD René, PÉRÉNON Jacques et CHAPPELET Robert. Lyon en tram, au temps de l’OTL (1880 – 1958), p. 67

2 réflexions sur « Dépôt Parmentier (1) »

  1. Et cette démolition m’a beaucoup attristé moi-même, je passais devant ce dépôt tous les jours pour aller à l’école, alors qu’il était sur la fin de son activité. J’avais lu quelque part qu’à un moment sa transformation en marché couvert (pour remplacer le marché de la place Jean Macé) avait été évoquée. Vous en savez quelque chose ?

    1. Merci pour ce témoignage. Je constate chaque jour combien cette démolition est décriée, surtout des riverains, lesquels sont les premiers concernés. Pour ce qui est du projet de marché couvert, il figure en effet au nombre de ceux qui paraissent avoir été débattus mais pas retenus par la Ville (faute d’argent), mais cela fait parti des points que je souhaite éclaircir et développer en toute fin d’historique avant d’en parler. Espérons que j’en saurai d’avantage d’ici. A ce propos, les témoignages des uns et des autres sont naturellement les bienvenus : commentaires, anecdotes, photos, débats, partager, c’est la vocation de ce blog.

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