Dépôt Parmentier (2)

Dépôt Parmentier (2)

La Guillotière et le quartier des lônes

1852 sonne pour la commune de La Guillotière la fin de son indépendance et son rattachement définitif à celle de Lyon. Jusqu’à cette date décisive où les assiduités expansionnistes lyonnaises l’emportent sur les résistances du vaste faubourg outre Rhône, sa physionomie était demeurée fidèle aux logiques d’implantation qui l’avaient façonnée avec les siècles : roulage, auberges, relais de postes, enracinés dans la nécessité de traversée et de passage vers Lyon. A ces secteurs d’activité traditionnels répondaient des modes d’une occupation urbaine et démographique que tout appelle désormais au changement. Bien sûr, l’ancienne commune, avant son annexion, avait connu une vague d’urbanisation instigatrice de bien des mutations. Mais c’était au débouché du pont de La Guillotière seulement, point d’ancrage entre Lyon, son faubourg et sa grande rue, que le relai de cette urbanisation en direction de l’est s’était assuré. Au sud dudit pont en revanche l’évolution urbaine donnait la mesure des métamorphoses qui allait affecter en lenteur l’ensemble des territoires qui présentaient le tort de se trouver trop en marge de ce fameux débouché.

Lyon Dignoscyo 1861-1863 Crédit photographique reproduction Gilles Bernasconi, Archives Municipales de Lyon
Lyon Dignoscyo 1861-1863 Crédit photographique reproduction Gilles Bernasconi, Archives Municipales de Lyon

Né dans les reflets de Lyon, le secteur méridional de La Guillotière n’a longtemps existé qu’au travers des contraintes et des convoitises qu’a exercées sur lui la proximité du Rhône. Des premières activités qu’apporta la révolution industrielle au XIXe, beaucoup en effet puisaient dans les ressources qu’offrait le fleuve : vitriolerie, verrerie, cristallerie dispersées au sud et à l’ouest de la future place Jean Macé. Mais ce fut surtout dans le domaine de la construction – port aux pierres, chantier naval, autant d’activités vouées à s’exercer devant la menace permanente d’un fleuve en crue[1] – que ce secteur témoignait des meilleures justifications de son existence.

C’était au prix de la surélévation des quais et des rues que cette portion d’espace, à l’instar de toute la rive gauche, s’était garantie durablement des crues qui l’avaient ravagée en 1856. A cette faveur s’était constitué en amont le nouveau quartier du Cours Saint-André[2], bourgeois et dont le quartier des lônes ne figurait que comme « appendice » populaire et sinistré. Embryon de quartier nécessairement industrieux, populaire et marginal, la maitrise de son espace ne pouvait se conclure sans celle du fleuve. Ainsi, en 1857[3] dès l’instant où l’édification d’une série de digues en amont du fleuve lève cet obstacle, le quartier s’ouvre à d’authentiques avenirs urbains.  A partir de 1862[4], le comblement et l’assèchement des lônes, anciens bras du fleuve déjoué et infléchi, complétait d’ailleurs ces dispositions.

Mais ces nouveaux quartiers devaient aussi une part de leur émergence à l’arrivée du chemin de fer depuis Valence jusqu’à La Guillotière[5] avec une gare de tête de ligne en 1855. Gare de voyageurs d’abord, elle est supprimée au profit de celle de Perrache dès l’année suivante. S’y substituait dans le même temps une simple gare de marchandises mais qui bénéficierait tout du moins d’une liaison avec cette nouvelle gare de Perrache grâce au pont ferroviaire qui enjambait le fleuve. La Guillotière était devenue un passage nécessaire entre le nord et le sud de la France, sans escale de voyageurs, mais les marchandises continueraient à profiter de ce réseau de circulation jeté entre ces deux territoires en mutation.

D’ailleurs l’ouverture de cette ligne n’avait pas fait irruption seule. Parallèlement à son tracé était percé le Cours des ponts du Midi [6]en 1856. Dans son alignement, en franchissement des eaux, un premier pont piéton inauguré de 1847 en préfigurait déjà l’exécution. Ces travaux anticipant la maîtrise du fleuve, participaient d’un réseau d’actions entrepris par la compagnie des ponts du Rhône visant le désenclavement de la partie sud de la rive gauche en la reliant à la presqu’ile. L’extension vers le sud rendue possible, il y était indubitablement question de mettre à profit cette vaste réserve foncière outre Rhône.

Or, après  1884 intervenait le déclassement de la ceinture de fortifications, jugée obsolète. La perspective de suppression de ce vaste système défensif circulant en continu du fort de la Vitriolerie jusqu’à celui du Colombier levait les derniers freins matériels au développement urbain. Les conditions étaient donc favorables à un changement en profondeur du quartier. Déterminé naguère dans ses ambitions d’extension et son tracé par la présence des eaux, l’image du réseau viaire se désolidarisait désormais du maillage esquissé timidement autour des voies de passage plus anciennes et allait bientôt profiter de ces nouveaux ferments urbains.

Facteur de cette croissance globale, l’installation des structures publiques rendues indispensables, tel le groupe scolaire de l’Avenue Berthelot[7], devait accélérer du même coup le processus de croissance traversé par l’ensemble des quartiers de la rive gauche. En 1912, la création du septième arrondissement ponctionné sur une partie du territoire du sixième sanctionnait cette extraordinaire attractivité démographique. De ce nouvel arrondissement, la future place Jean Macé fut bientôt le cœur. Située au croisement du prolongement de l’Avenue de Saxe[8] avec l’ancien Cours des ponts du Midi, les deux grands axes majeurs qui structurent le quartier, son emplacement était naturellement tout indiqué. Ici la mairie du 7e arrondissement, eut bientôt son opulente façade.

image 2 - 5s plans de secteur au 1-200e
Plan de secteur au 1/200e, 5S, Archives Municipales de Lyon

L’ancien quartier des lônes a bien changé. Et si cette transformation physique devait en particulier aux grands édifices, Universités, hôpitaux, et Ecole de santé militaire le long de l’Avenue Berthelot, elle devait également à la poussée des grands  immeubles de rapport qui remodelèrent sa physionomie. Sans effacer sa vocation première, ancrée dans l’industrie, le quartier attirait à la fin du XIXe siècle la frange bourgeoise de la population qui faisait défaut jusque là. En résulte sa physionomie contrastée des premières années du XXe. Sous l’effet de cette expansion la nouvelle frontière urbaine de la rive gauche est repoussée plus au sud, à l’extrémité de l’avenue du maréchal de Saxe. Au delà de cette limite matérialisée et imposée par la voie ferrée c’est Gerland qui hérite plus spécifiquement le devenir des ambitions industrielles du quartier.

 

Rues de la lône, rue St Jérome, rue Parmentier, rue des asperges [9].

Si la plupart de ces rues sont attestées, et sous ces dénominations, dès les années 1850[10], elles correspondent à l’époque à des voies encore faiblement fréquentées ou habitées.

Or, au tournant du XXe siècle ces rues, qui délimitent le futur dépôt, vont faire l’objet d’aménagements conséquents à la fortune récente du quartier. En 1904 la Municipalité, qui se flatte d’avoir opéré les dernières expropriations nécessaires au parachèvement des tracés des rues Parmentier, St Jérome et de la lône, décide d’opérer leurs travaux de mise en viabilité[11]. Ils concernent l’installation de conduites et de lanternes à gaz, terrassement, pavage en cailloux roulés pour la chaussée, la pose enfin de bordurettes en granit pour les trottoirs qui la flanquent. Cette mise en œuvre se prolonge l’année suivante des indispensables travaux de fontainerie : canalisations, conduite en fer d’adduction d’eau et robinets.

Pan de mise en viabilité, 922 W 81 3, Archives Municipales de Lyon
Pan de mise en viabilité, 922 W 81 3, Archives Municipales de Lyon

On le voit, en 1912, au moment de la construction du dépôt, les rues qui délimitent le futur « Ilôt Parmentier » ont bénéficié des soins les plus récents en matière de voirie.

(A suivre).

Revenir à l’article Dépôt Parmentier (1)
————

Bibliographie :

BANAUDO José, Sur les rails du lyonnais ; tome 1, le grand réseau de Marc Seguin au TGV, Breil-sur-Roya : Editions du Cabri, 2001. 159 p.

BERTIN Dominique (dir.), de OCHANDIANO Jean-Luc, HALITIM-DUBOIS Nadine et al., Lyon, de la Guillotière à Gerland : le 7e arrondissement 1912-2012, Lyon : Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 2012, 223 p.

CLEMENCON Anne-Sophie, La ville ordinaire : généalogie d’une rive, Lyon, 1781-1914, Marseille : Editions Parenthèses, Coll. « Architectures », 2015, 288 p.

CURTET Raymond, La naissance et l’évolution d’un espace urbain : la place Jean Macé et son environnement , Cahiers de Rhône 89, n° 20, 1998, p. 69-95

PELLETIER Jean, Connaître son arrondissement, le 7e, Lyon : Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 1997, 96 p.

VANARIO Maurice, Rues de Lyon à travers les siècles : XIVe-XXIe siècles, Lyon : Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 2e édition actualisée et corrigée, 2002, 333 p.

Sources d’archives :

1541 WP 20 : Lyon plan Dignoscyo 1861-1863, Crédit photographique reproduction : Gilles Bernasconi,  Archives municipales de Lyon.

5 S 015-01 et 5 S 020-01: Plans de secteur au 1/200e, section 15 (année 1915) et section 20 (année 1910), Archives Municipales de Lyon.

922 W 81 3 : Mise en état de viabilité des rues Parmentier,  lône, professeur grignard, etc., 1904-1905, Archives Municipales de Lyon.

1419 WP 45: Ouvertures de voies publiques sur terrains domaniaux, 1902, Archives Municipales de Lyon.

Sources en lignes :

COURAUD Lorraine, HALITIM-DUBOIS Nadine, Vitriolerie puis fort de la Vitriolerie actuellement Quartier Général Frère In : Inventaire, Patrimoine de Rhone-Alpes [en ligne], dossier réalisé en 2012 [Consulté le 10/08/2016]. Disponible à l’adresse :  http://patrimoine.rhonealpes.fr/dossier/vitriolerie-puis-fort-de-la-vitriolerie-actuellement-quartier-general-frere/4fe547c0-8882-4748-ba4c-3ef89b0c0398

VILLIEN H., L’endiguement du Rhône et de la Saône : les quais de Lyon et leur efficacité contre les inondations, Les Études rhodaniennes, 1937, volume 13 n°1, pp. 5-22. Disponible à l’adresse : http://www.persee.fr/doc/geoca_1164-6268_1937_num_13_1_6500

 

[1] HALITIM-DUBOIS Nadine, p. 126 in Lyon, de la Guillotière à Gerland : le 7e arrondissement 1912-2012, BERTIN Dominique (dir.), de OCHANDIANO Jean-Luc, HALITIM-DUBOIS Nadine et al., Lyon : Editions lyonnaises d’art et d’histoire, 2012, 223p.

[2] Future rue de Marseille.

[3] VILLIEN H., L’endiguement du Rhône et de la Saône : les quais de Lyon et leur efficacité contre les inondations, Les Études rhodaniennes, 1937, volume 13 n°1, pp. 5-22. Disponible à l’adresse : http://www.persee.fr/doc/geoca_1164-6268_1937_num_13_1_6500

[4] COURAUD Lorraine, HALITIM-DUBOIS Nadine, Vitriolerie puis fort de la Vitriolerie actuellement Quartier Général Frère In : Inventaire, Patrimoine de Rhone-Alpes [en ligne], dossier réalisé en 2012 [Consulté le 10/08/2016]. Disponible à l’adresse : http://patrimoine.rhonealpes.fr/dossier/vitriolerie-puis-fort-de-la-vitriolerie-actuellement-quartier-general-frere/4fe547c0-8882-4748-ba4c-3ef89b0c0398

[5] Œuvre de la Compagnie  du Chemin de fer de Lyon à Avignon.

[6] Actuelle avenue Berthelot

[7] Bâti à partir de 1877

[8] Actuelle rue Jean Jaurès

[9] Actuelles rues Jaboulay, St Jérome, Professeur Grignard et d’Anvers.

[10] VANARIO, Maurice,  RUES de Lyon à travers les siècles : XIVe-XXIe siècles, Lyon, Editions lyonnaises d’Art et d’histoire,  2002, réed.

[11] 922 W 81 3 (Archives Municipales de Lyon)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.