L’impasse des Chalets, une histoire à la croisée de l’Avenue Berthelot et de la Route de Vienne
Confiné jusqu’à ce jour dans la plus sereine confidentialité, le site industriel de l’impasse des Chalets va connaitre demain une consécration qui s’apparentera au vaste écartèlement attendu de tout grand territoire urbain en mutation. Cette étape signera l’éclatement des indéchiffrables et énigmatiques pièces qui le composent. Elles n’appartiennent nullement à une ère si lointaine que ne le veut croire notre génération, quoiqu’elle ait pris l’habitude de plisser les yeux devant leur figure, cherchant pour leur assigner une signification, que leur déchéance actuelle -au lieu du lierre qu’elle leur a laissé pousser au menton – leur a arrachée. C’était l’ère industrielle, l’ère où l’on polluait mais en produisant, l’ère où l’on produisait mais en polluant. Et il faut le dire sans crainte d’exagération, ces paysages industriels parfaitement familiers à nos parents, les démolitions bientôt les auront réduits à une fraction si rare et si étrangère à nos enfants qu’ils n’auront d’autre loisir que de les regarder comme d’hermétiques pyramides et autres sphinx poudreux.
Ce que ce coin confidentiel de La Guillotière égare dans la disparition de ces objets, ce sont les derniers témoins capables de la rappeler à ses origines. D’ailleurs à bien examiner les lieux, on comprend combien vaine serait la prétention de l’industrie à vouloir en revendiquer la complète mémoire. D’autres rides confondent au sein d’une seule et même trajectoire historique des souvenirs d’apparence et d’ancienneté parfois très disparates.
Sans doute importe-t-il de rappeler qu’avant de désigner l’ancien quartier industrieux de Lyon, La Guillotière était le nom d’une commune autonome, et, un peu plus tôt encore celui d’un faubourg attaché à la fortune de l’importante cité rhodanienne. Occupant un point très oriental au long de la route de Vienne, l’emplacement de l’actuelle impasse des Chalets joint l’histoire du cœur urbain du vieux faubourg, mais de la façon discrète que son notable éloignement géographique peut laisser supposer.
Rase campagne jadis et d’abord, familière d’un trafic que la proximité de l’antique route de Vienne lui avait prodigué, elle abritait une villégiature aristocratique. Une villégiature de domaines nichés dans la verte embrasure des contrées dauphinoises dont les regards restaient tournés vers l’écrasante et orgueilleuse voisine lyonnaise. L’impasse, elle, était le résultat d’un processus d’urbanisation du territoire déjà consommé. Elle s’était ouverte au XIXe siècle avec l’arrivée du train de marchandises à la Mouche et surtout au contact de la grande avenue Berthelot. Les petits pavillons encore étaient de mise. Ils lui conférèrent le nom dans la simplicité avec laquelle on désignait la chose. L’impasse n’en avait pas fini encore d’ouvrir les bras. Bientôt elle accueillit l’industrie, la mécanique et l’automobile qui déferlaient Avenue Berthelot.
Ici, tout au fond de l’impasse, communiquant avec la Route de Vienne, c’était les Établissements Pontille, spécialisés dans la fabrication de fermetures métalliques. A peu de temps de là, et après une guerre mondiale qui lui valut plusieurs bombes (Alliées) sur la tête elle se relevait, plus laborieuse que jamais, mais pas pour longtemps. C’eût été oublier au fond qu’elle n’était qu’une voie sans issue, vouée par essence à ne jamais mener réellement à rien sans l’intervention chirurgicale adéquate.
Demain donc l’exécution d’un projet urbain vieux de plus d’un demi-siècle se chargera de lui obtenir ce débouché jusqu’à la rue Paul Duvivier. Et il ne s’agit pas d’un simple caprice de voirie. Toutes ces vieilles têtes juchées sur leurs carcasses faites d’un bric et de broc délabré tomberont pour céder la place au clinquant de rues neuves, neufs bureaux, et neufs les logements encore sous l’effet d’un énième bouleversement urbain. C’est d’ailleurs sous ombre de restituer une « ambiance faubourg » que le projet conduit par Vilogia anéantit une plus authentique compilation de vie urbaine et de réalité faubourienne industrielle.
La page vieille inscrite à la sueur ouvrière doit se tourner pour ouvrir la suivante. Et qu’est-ce qu’un petit siècle et demi de vapeur et de vie industrielle, une heure éphémère et conquise sur des millénaires de semailles et de grand air ?
Ce site des anciennes halles industrielles des Ets Pontille de l’impasse des Chalets, plusieurs associations (La Taverne Gutenberg, Intermède et les Ateliers la Mouche, pour citer les principales) ont obtenu le privilège de l’occuper pour lui insuffler une dernière vie avant démolition. Le site fait déjà de leur part cette occupation physique et collective réalisée sous le nom des Halles du faubourg dont le programme est visible ici. Il fera de la mienne l’objet d’une rétrospective décomposée en plusieurs articles. Il ne pouvait s’agir de restituer cette histoire sans l’insérer dans celle de l’espace plus global qui la contient. L’histoire portera par conséquent sur le territoire situé au croisement de la Route de Vienne et de l’Avenue Berthelot et variera d’échelle suivant les besoins du discours pour s’inscrire dans un temps long de plusieurs siècles.
2 réflexions sur « L’impasse des Chalets, une histoire à la croisée de l’Avenue Berthelot et de la Route de Vienne »
Merci pour cet article. J’attends les prochains avec impatience. Que va devenir la friche Pontille et tout ce secteur entre la route de Vienne, l’avenue Berthelot et la rue Duvivier autrefois du Vivier, du nom d’un château disparu que je cherche à localiser. Savez-vous où il se trouvait ? Bonne idée, cet inventaire avant disparition. Espérons que quelques traces subsisteront pour donner matière vive à la nostalgie. Dans un autre ordre d’idée, savez-vous ce qu’est devenu l’ancien portail des usines Berliet de la rue Audibert et Lavirotte ? Il avait été question de le réinstaller sur place. On n’en parle plus ?
Merci à vous de ce retour.
Pour vous répondre à propos du site Pontille/Duvivier, tout est promis à une refonte pure et simple et aucun vestige ne subsistera.
Le château du Vivier se trouvait à l’emplacement du parc Sncf à deux pas de la rotonde, il avait le malheur de se trouver sur l’emplacement de la ligne Lyon-Marseille; il n’en subsiste rien. Aucun étude à la hauteur du sujet ne lui a été consacrée mais j’y consacrerai quelques minuscules lignes dans mon prochain article sur la Route de Vienne.
A propos de Berliet et de cette porte il était question en effet de la réinstaller (maigre consolation..), j’ignore où en est le projet.